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Full text of "Lettre du vertueux Roland, ministre de l'Intérieur, a tous les départements du royaume : Paris, le 12 juin, 1792, l'an IV de la liberté."

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L E T T R E 


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'rfjjf  ' / , 


D U 


VERTU, EUX  ROLAND  > 

MINISTRE  DE  L’INTÉRIEUR, 

'A  tous  les  Départements  du  Royaume. 

Paris,  le  la  Juin  ■t7S)a,  l’An'lV  de  la  Libertés 


I t faut  affermir  notre  Constitntion,  î ü 
faut  la  faire  aimer.  C’est  à vous , Messieurs  , 
qu’il  importe  , c’est  à vous  quil  ^ppar  lem 
df  parvenir  à ce  but.  Je  vais  vous  ouvriE 
mon  cœur  : puissé-je  par  cette  confiance  , 
vous  laisser  convaincus  ! comme  |e  le  sms 
moi-même,  de  la  nécessité  des  mesures  que  je 

''“La'’Sst‘itutlon  est  faite  pour  le  bonheur 
des  François  : elle  doit  donc  etre  respectée  , 
chérie  , et  observée  sans  restriction.  Cependant 
il  est  encore  quelques  Departements  , dou 
Eo^  me  mandi  que  les  loix  ne  reçoivent  que 
très- difficilement  leur  exécution  , ou  meme 
elles  excitent  des  insurrections^,  lorsque  le^ 
Corps  administratifs  déploient  la  force  pouü 

obtenir  l’ obéissance.  r • * 

En  cherchant  la  cause  de  celte  résistance  , 

l’ai  cru  l’apercevoir  dans  le  secret , . 

mystère  , dont  s’enveloppent  dés  Cotps  admi^. 


-,S  ‘ 


nistratifs.  C’est  du  mystère  que  naît  la.  crainte 
la  défiance  ; et  la  défiance  , à son  tour , appelle 
les  murmures  et  l’insubordination. 

Que  les  administrations  de  Département , 
de  district , que  les  Municipalités  , donnent  de 
ia  publicité  à leurs  séances  ; qu’elles  traitent , 
les  intérêts  dont  elles  sont  chargées  , en  présence 
des  administrés  ; que  leurs  délibérations  soient 
toujüurs  le  résultat  d’une  discussion  publique  : 
et  dès-lors , toutes  les  administrations  se  verront 
entourées  de  confiance;  et  la  Loi,  de  citoyens 
aussi  prompts  à lui  obéir  , qu’ardents  à la 
défendre. 

La  publicité  a le  doüble  avantage  de  main- 
tenir les  Directoires  et  les  Municipalités  dans 
une  grande  activité  ; d’empêcher  , ou  au  moins 
de  ralentir , l’effet  de  cette  tendance  que  , les 
hommes  réunis  en  corps  distincts  de  la  masse  , 
ont  à se  former  un  esprit  particulier , trop  sou- 
vent opposé  à l’esprit  public.  L’oeil  surveillant 
de  l’universalité  des  citoyens  , retient , à chaque 
moment , cette  contention  réciproque  , de  corps 
à corps  , d’individu  à individu  ; et  les  oblige 
de  porter  toute  leur  attention  sur  les  affaires 
générales  : il  est  impossible  alors  que  les  ad- 
ministrés ne  chérissent  la  Loi  , puisqu’ils  ne 
sauroient  refuser  leur  estime  et  leur  confiance 
à ses  organes. 

J’en  appelle  à vous  seuls  ,,  Messieurs  , pour 
être  juges  d^  ma  proposition.  Je  vous  parlerai , 
d’abord , de  l’administrateur  qui  délibéré  dans 
le  secret  : s’il  est  sans  émulation  , sans  acti- 
vité , il  remplit  ses  devoirs  avec  nonchalance  ; 
ou  s’il  est  aiguillonné  , ce  n’est  que  trop  souvent 
par  des  passions  particulières. 

V oyez  , au  contraire  , l’homme  agissant  aux 
ïegaras.  du  public,  ; quelles  impulsions  reçoit 


_ ( 3 ) 

son  cœur  î ses  passions  s’élèvent , et  s’épurent; 
de  grands  intérêts  le  dirigent  , des  vues  plus 
étendues  s’offrent  à son  esprit , l’enthousiàsnië 
le  fait  élancer  dans  les  rdutes  les  plus  diffi- 
ciles ; les  applaudissements  qu’il  reçoit , la  re- 
connoissance  qu’il  attend , redoublent  ses  efforts , 
et  l’en  rendent  plus  digne  encore. 

Comment  ceux  qui  récoutent et  qui  sont 
témoins  de  son  zele  , pourroient-ils  refuser  leur 
assentiment  ? à une  administration  , aux  delibe- 
rations de  laquelle  ils  sont  , pour  ainsi  dire  , 
associés. 

S’il  pouvoir  fester  quelques  doutes  sur  ^1  e- 
vidence  de  ces  principes  , j’invoquerois  1 ex- 
périence. Les  Départements , les  Districts  , les 
Municipalités  , qui  ont  donne  de  la  publicité 
à leurs  séances;  vous  diront  que  ce  n est  que 
depuis  cet  instant  que  l’ordre  , la  paix  , l’union  , 
régnent  parmi  les  administrés. 

Des  maux  particuliers  , viennent-ils  fonare 
sur  un  Département  ? la  sûreté  publique  y 
est-elle  compromise .?  la  rarete  des  subsistances  , 
la  cherté  des  grains  , s’y  font-elles  sentir  ? c’est 
alors  que  la  sollicitude  paternelle  des  Corps 
administratifs  , vient  puissamment  combattie 
ces  malheurs  et  les  adoucir.  En  ne  dissimulant 
rien  , . en  découvrant  le  danger  , ^on  appelle 
îe  courage.  Dès-lors  , plus  d’inquiétude  , plus 
de  soupçon  , plus  d’émeute.  Donnez  la  con- 
viction au  peuple  , qu’on  ne  veut  pas  ^ebranler 
sa  Constitution  ^ ni  le  tromper  ; il  n’y  a pas 
de  maux  qui  puissent  lasser  sa  constance  , il 
n’y  a pas  de  force  qui  puisse  changer  ses 

résolutions.  r • j 

S’il  est  un  moyen  d’assurer  l’execution  des 

loix  sur  la  libre  circulation  des  grains  dans 
le  royaume  ; de  mettre  ces  loix  sous  la  sauve- 

A a 


gar^e  du  peuple  , en  le  convainquant  de  leur 
sag6SS6  , l6ur  n0C6SSit6  : C6  moyen  découlé 
de  la  publicité  de  vos  deliberations. 

C’est  là  que  vous  apprendrez  à ce  bon  peuple , 
que  le  commerce  des  grains  , lorsqu’il  n’a 
point  d’entraves  , se  porte  nécessairement  ou 
la  consomrnation  et  les  besoins  l’appellent  , 
que  la  cherté  n’est  souvent  que  le  produit  d’une 
fausse  terreur  : et  que , dans  le  cas  où  les  be- 
soins soient  tels  , qu’ils  excedent^  la  prévoyance 
particulière  des  citoyens  ; ils  doivent  se  confier 
a la  sollicitude  des  représentants  de  la  Nation  , 
qui  sauront  y subvenir  par  des  mesures  gene- 
rales , aussi  promptes  qu’efficaces.  ^ 

Ces  réflexions  me  conduisent  à vous  parler 
de  la  demande  de  troupes  de  ligne  , que  me 
font  plusieurs  Directoires  de  Départements  , 
pour  rétablir  le  bon  ordre  et  la  libre  circulation 
des  grains  dans  leurs  territoires. 

Je  vous  dirai  d’abord  , que  j’ai  communi- 
qué ces  demandes  au  Ministre  de  la  guerre  ; 
et  qu’il  m’a  répondu  : qu’étant  oblige  de  porter 
sur  les  frontières  toutes  les  troupes  de  ligne  , 
il  ne  pouvoit  se  rendre  aux  voeux  des  Direc- 
toires j que  si  la  force  armee  leur  etoit  abso- 
lument nécessaire  , il  falloit  recourir  aux  Gardes 
nationales. 

Mais  dois-je , Messieurs  , vous  conseiller  ce 
dernier  parti  ? Tant  qu  on  emploiera  les  armes 
pour  faire  exécuter  les  Loix  ; non-seulement  on 
prouvera  qu’on  n’a  pas  su  les  ^ faire  aimer  , 
mais  qu’on  n’y  parviendra  jamais. 

On  n’attache  point , à ce  que  l’on  rmid  si 
redoutable  ; et  l’amour  , ne  suit  point  1 effroi. 
Une  Constitution  qui  ne  se  soutiendroit  que  par 
les  baïonnettes,  ne  seroit  pas  une  Constitution: 
il  faut  d’autres  moyens  pour  attacher  un  peuple 


,(  5 ) 

ÜLrô  , auxlGÎx  qu’il  a faites;  et  ces  moyens,  vous 
les  avez  en  votre  pouvoir.  Délégués  par  le  choix 
de  vos  concitoyens  pour  administrer  la  chose 
publique , vous  devez  donner  a toutes  les  actions , 
à toutes  les  délibérations , qui  ont  rapport  à des  fonc- 
tions si  honorables , la  plus  grande  publicité  ; vous 
devez  , à ceux  qui  ont  droit  d’exiger  que  vous 
travailliez  à leur  bonheur , de  leur  faire  eonnoître 
les  moyens  que  vous  employez.  Vous  ne  devez 
user , du  droit  de  répression  que  la  Loi  a mis 
dans  vos  mains  , qu’avec  la  plus  grande  retenue. 
Instruisez  les  administrations  que  vous  surveillez; 
et , si  elles  s’écartent  de  l’observation  des  réglés , 
employez  à leur  égard  cette  douceur  , qui  com- 
mande si  aisément  la  persuasion  , ot  qui  amene 
nécessairement  le  repentir  d’un  écart  souvent 
involontaire.  Il  est  si  facile  a uny  adrainiatr^t- 
tion  supérieure  de  se  rendre  agréable  a celles 
qu’elle  a dans  sa  surveillance  ; qu’en  vente  je 
crois,  pouvoir  dire  : que  , c’est  presque  toujours 
la  faute  des  premières  ; quand  l’hannonie  res- 
pective est  rompue  au  point  de  nécessiter  de 
l’éclat  , et  de  causer  de  racharnement  pour  le 
redressement  des  griefs  dont  elles  peuvent  avoir 

à se  plaindre.  ^ . 

En  m’exprimant  ainsi  , Messieurs  , je  vous 
présente  le  langage  de  la  Loi , a qui  vous  devez 
votre  existence  administrative  : par- tout  , la  fra- 
ternité,, la  douceur,  sont  mises  au  premier  rang 
de  vos  devoirs  ; c’est  le  triomphe  d une  Cons- 
titution libre  : il  faut  laisser  aux  tyrans , leur 
orgueil  et  leurs  chaînes.  _ ^ 

Je  reviens  à la  demande  qui  m’est  faite  par  les 
Directoires  de  Départements , de  leur  envoyer 
des  troupes  de  ligne.  Et  je_  crois  , Messieurs  , 
devoir  vous  dire  : que  les  principales  Municipa- 
lités des  Départements  mêmes  qui  m’ont  fait  ces 


demandes  , loin  de  les  appuyer  , m’ont  adressé 
des  réclamations  absolument  contraires  ; et 
cependant  ce  sont  les  Municipalités  gue  la  Loi 
charge  spécialement  et  directement  de  veiller  à 
la  tranquillité  publique.  Ce  sont  les  Maire  et 
Officiers  municipaux  qui , dans  les  émeutes, 
doivent  se  présenter  en  personne  pour  les  ap- 
paiser  ou  les  dissiper  : la  Loi  les  soumet , à cet 
égard  , à une  responsabilité  à laquelle  rien  ne 
sauroit  les  soustraire. 

Mais , en  même  temps  que  je  considéré  les 
rapports  sous  lesquels  les  Municipalités  sont 
tenues  de  maintenir  la  tranquillité  publique  , je 
ne  puis  m’empêcher  d’apercevoir  les  Admi- 
nistrateiurs  de  Département  et  de  District  dans 
une  place  infiniment  moins  périlleuse  : et  j’en 
tire  la  conséquence  , que  , si  les  Municipalités  , 
cette  première  magistrature  du  peuple , qui  est 
immédiatement  chargée  de  veiller  au  maintien 
de  l’ordre  , et  dont  la  moindre  négligence  , 
dans  ces  cas , est  punie  par  la  Loi , ne  témoignent 
aucun  besoin  de  troupes  de  ligne  ; les  Adminis- 
trations supérieures  , qui  n’ont  que  des  Arrêtés 
à prendre  dans  le  silence  de  leurs  paisibles 
Directoires , peuvent  encore  moins  souffrir  de 
la  privation  d’une  force  armée. 

Je  pense  donc  qu’il  faut  laisser  nos  troupes 
sur  les  frontières , oh  elles  ont  des  services  plus 
importants  à rendre  à la  patrie  : et  je  vous 
invite  , Messieurs  , à mettre  en  usage  , auprès  de 
vos  administrés , des  armes  bien  plus  puissantes , 
celles  de  la  persuasion  ; parce  que  , encore  une 
fois  , l’obéissance  qui  est  arrachée  par  la 
terreur  , ne  peut  pas  convenir  à un  peuple  libre  ; 
dès  qu’elle  est  forcée  , elle  est  nécessairement 
passagère , et  ne  fait  que  précéder  de  fâcheuses 
agitations. 


{ 7 ) 

Vous  éprouverez , Messieurs , les  bienfaits  de 
cette  morale  politique , dans  les  moments  sur- 
tout où  des  calamités  viendroient  fondre  sur  vos 
Départements.  Que  le  premier  moyen  dont  vous 
fassiez'  usage  , soit  une  sollicitude  toujours 
douce  , toujours  paternelle  : approchez-vous  du 
peuple  avec  les  seules  armes  du  patriotisme, 
la  publicité  , la  raison  ; et  vous  verrez  que  sa 
résignation  et  sa  reconnoissance  iront  aussi  loin 
qu’il  est  possible  de  le  désirer. 

Il  est  un  troisième  objet  sur  lequel  je  crois 
vous  devoir  aussi  quelques  observations  ; c’est 
sur  les  députations  extraordinaires  auprès  de 
l’Assemblée  Nationale  , envoyées  par  les  Direc- 
toires de  Départements  , de  Districts  , et  par  les 
Conseils-Généraux  des  Communes  : leur  nombre 
est  si  grand  , les  inconvénients  qui  en  résultent 
sont  si  graves , et  m’ont  tellement  frappé , que 
j’ai  senti  l’obligation  d’en  faire  part  à l’As- 
semblée Nationale.  Je  lui  ai  dit  ; que  ces  dépu- 
tations avoient  souvent  pour  objet  des  préten- 
tions et  des  querelles  de  peu  d’importance  ; 
qu’elles  dégarnissoient  sur-tourles  Directoires, 
dont  les  membres  étoient  tous  nécessaires  à 
l’Administration  , des  sujets  les  plus  laborieux 
et  les  plus  éclairés  ; que  ces  Députés  occa- 
sionnoient  de  grands  frais  aux  administrés  : 
qu’indépendamment  de  ce  que  les  affaires  qu’ils 
traitoient,  seroient  plus  promptement  terminées^ 
par  le  seul  moyen  de  la  correspondance  ; ces 
envoyés  faisoient  perdre  ici,  aux  Députés  à 
l’Assemblée  Nationale  et  aux  autres  Fonc- 
tionnaires publics  , un  temps  précieux  qui 
pouvoir  être  plus  utilement  employé  à la  chose 
publique.  J’ai  même  ajouté  que  ces  Députés 
extraordinaires,  ne  transmettant,  les  faits  ou  les 


( 8 ) _ 

«lécisions  qu’ils  viennent  recueillir , qu’avec  leurs 
opinions  , y mêloient  quelqueiois  des  erreurs 
propres  à égarer  leurs  Commettants  ; et  j .ai  tire 
la  conséquence  , qu’il  convenoit  de  les  renvoyer 
tous  à leur  poste  , et  de  faire  une  Loi  qui  les 
y retînt  à l’avenir. 

Je  me  persuade  , Messieurs , que  vous  applau- 
direz à mes  vues  : que  vous  conviendrez  avec 
moi.,  qu’il  faut  que  chacun  reste  à sa^  place^:  et 
que  , si , dans  les  premières^  années  d’une  révo- 
lution , où  tant  de  malveillants  cherchent  a 
ébranler  et  à anéantir  notre  liberté  naissante  ; 
ceux  qui  se  sont  présentés  au  peuple  , et  qui  ont 
été  élus  par  lui  en  vertu  de  la  Loi , pour  être 
ses  défenseurs  , désertent  leur  .poste  , jamais  la 
Constitution’  ne,  s’affermira. 

J’ai  cru , Messieurs  , toutes  ces  observations 
utiles  , et  j’ai  dû  vous  les  transmettre.  Si  tous 
les  Fonctionnaires  publics  , animes  par  le  rneme 
esprit , se  rangent  autour  de  la  Constitution  j 
ouels  seroient  les  téméraires  qui  oseroient  cons- 
pirer contre  elle  ? qui  pourroit  rompre  ce  fai- 
sceau ? les  efforts  des  ennemis  de  l’intérieur , 
de  ceux  du  dehors  , viendront  se  briser  devant 
cette  sainte  ligue  , et  ne  pourront  plus  troubler 
i’harmonie  parmi  les  organes  de  la  Loi. 

Approchons-nous  du  peuple  , àe  ce  peuple 
généreux  et  libre  ; qu’on  ne  calpmnie  , que  parce 
qu’on  ne  le  connoît  pas  ; qui  ne  s’égare , que 
parce  qu’on  ne  l’instruit  pas.  A p moindre  inquié- 
tude , courons  à lui  ; disons-lui  avec  fermete  tout 
ce  qui  est  vrai  : il  est  digne  d’entendfe  ce 
langage , il  respectera  ses  devoirs  ; et , sans  autre 
levier  que  celui  de  la  confiance,  nous  établirons 
dans  tout  l’empire  l’équilibre  de  la  paix  et  la 

soumission  aux  Loix.  ^ , 

* Le  Ministre,  de  l Intérieur.